Dr Ekwoge Abwe : « Nous avons pris en compte les besoins des populations »

3- interview

Largement reconnu comme l’un des défenseurs de l’environnement les plus efficaces, les plus dynamiques et les plus engagés d’Afrique occidentale et centrale. Ekwoge Abwe est né dans un village inaccessible de l’actuel parc national des monts Bakossi. Il a été élevé dans l’idée que le travail et la générosité pouvaient le mener n’importe où. Pendant plus de vingt ans, Ekwoge a eu un impact important sur la conservation au niveau local, national et international. Entretien avec le lauréat du Prix ​​Prince William pour la conservation 2023.

Dr Ekwoge Abwe, Biologiste

Quelle est la particularité de la forêt d’Ebo’o qui vous passionne tant ?

La forêt d’Ebo’o est tellement unique. D’abord, c’est l’une des plus grandes forêts dans le Golfe de Guinée. Elle s’étend à plus de 2000 km2. On y retrouve beaucoup d’essences et d’espèces importantes pour la biodiversité y compris les grands singes. On a les gorilles et les chimpanzés. On a 11 espèces de primates mais aussi les éléphants de la forêt. Une biodiversité de mammifères, les grenouilles dont les Goliath très connues dans le monde. Les plantes sont aussi tellement diverses et uniques. Depuis 2005 qu’on fait les recherches en collaboration avec d’autres organisations, on a fait la découverte de plus de 30 espèces de plantes endémiques mais menacées dans la forêt d’Ebo’o. Toutes ces choses font que c’est un site unique. C’est un endroit qui n’est pas protégé par la loi. Notre travail est de collaborer étroitement avec l’Etat et la société civile et les populations riveraines pour la conservation de cette ressource et le bien-être des populations.

Quels sont les Obstacles auxquels vous faites face dans le cadre de cette activité ?

La principale menace dans la forêt est la chasse et la vente des viandes de brousse. Si ce n’était que pour la consommation locale, cela ne devrait pas poser problèmes parce que la population n’est pas très dense. Mais, la demande qui vient de la ville est très forte. L’autre menace est la perte de l’habitat à cause de la déforestation soit pour les plantations soit pour l’exploitation du bois (exportation des grumes). Cependant nous travaillons à impliquer tous ces acteurs. Les villages sont tellement reculés, ce qui pose la difficulté de leur accès et la difficulté d’écouler les produits agricoles. Il n’y a pas vraiment des alternatives. Quand on parle par exemple de l’agriculture, les populations te disent, on veut bien pratiquer mais on va vendre où ? Mais au fur et à mesure qu’on travaille avec les communautés et l’Etat, des propositions émergent. On travaille en ce moment avec les communes sur comment améliorer l’état de la route, renfoncer les capacités des populations locales pour diversifier les activités économiques et donc les sources de revenus afin qu’elles ne dépendent plus de cette forêt qui est important pour eux, pour nous, le Cameroun et le monde. On parle aujourd’hui du concept « Santé pour tous » qui englobe la santé pour l’environnement, la faune et l’homme. S’il y a un équilibre entre ces trois entités, on peut vivre dans un monde parfait. Avec le phénomène des changements climatiques causé entre autre par la perte de l’habitat, si on peut vivre en respectant toutes ces composantes forêt-homme-environnement, on va être dans un milieu qui est mieux pour l’homme, les animaux et la planète entière.

On a observé que les femmes mettaient beaucoup de temps pour transformer le manioc. En discutant avec la population, on a apporté du matériel qui facilite ce travail. Ainsi, elles peuvent cultiver plus de manioc qu’elles transforment en mitoumba ou « bobolo » et vendent même ailleurs. C’est une source de revenus important pour les familles.

Comment avez-vous réussi à gagner la population environnante dans ce combat que vous menez en faveur de la biodiversité ?

Il faut de la patience, il faut du temps ! Quand on travaille avec les gens et qu’on leur dit : « Non ce n’est pas bon de dépendre uniquement de la chasse parce que ce n’est pas quelque chose de durable », la plupart du temps, ils ne comprennent pas. Mais au fur et à mesure qu’on insiste, ils finissent par comprendre le sens et la valeur de notre message. C’est comme ça qu’ils peuvent vous suivre. Nous comprenons aussi qu’il n’est facile d’arrêter une activité brusquement. Notre ressource principale est le temps. 20 ans ce n’est pas deux ans. (Rires) Donc avec du temps, on a réussi à convaincre les gens à comprendre l’importance de ce qu’on est en train de faire. Egalement, nous avons pris en compte les besoins des populations. Par exemple, on a observé que les femmes mettaient beaucoup de temps pour transformer le manioc. En discutant avec la population, on a apporté du matériel qui facilite ce travail. Ainsi, elles peuvent cultiver plus de manioc qu’elles transforment en mitoumba ou « bobolo » et vendent même ailleurs. C’est une source de revenus important pour les familles. En anglais on parle « d’empowerment » donc, une certaine autonomie financière.

Un élevage de poulet de chair mis en place pour générer les revenus nouveaux

Malgré les obstacles, vous venez de recevoir un prix. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?Ce prix est très important pas seulement pour moi personnellement mais aussi pour toute la grande équipe qui m’accompagne au quotidien. Et quand je dis grande équipe, il ne s’agit pas seulement de celle qui constitue le San Diego Zoo Wildlife Alliance ou la Cameroun Biodiversity Association, mais aussi toutes les communautés riveraines de la forêt. On travaille en étroite collaboration avec ces dernières. On fait des travaux de recherches biologiques ensemble. C’est aussi ensemble que nous sensibilisons les populations dans les villages. C’est également ensemble que nous recherchons les moyens alternatifs de sources de revenus. Aujourd’hui, on me cible pour un prix, je ne peux pas dire qu’il m’appartient. C’est pour tout ce monde qui travaille sur ce projet.

Réalisée par

Nadège Christelle BOWA  

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